Critique UX... des chats.
design, fun, frParce-que pourquoi pas.
Lundi matin, 7h, chat sur les genoux, tablette en main, je prends un petit temps pour émerger en parcourant quelques articles des nombreuses newsletters de veille que je reçois chaque semaine. A la vue d’un énième article d’étude de cas UX rasoir, je râle alors intérieurement, avec la subtilité et la bonne humeur qui me caractérisent avant mon premier café : “UX study, gnagnagna”. Grattouille au chat qui valide (à moitié) mon humeur chat-fouine en relevant la tête mollement et en intensifiant le régime moteur.
“Toi t’as pas de souci d’UX”, lui dis-je avec affection en ma Ford intérieure.
“Vraiment ?”, ironise mon hémisphère gauche ?
Hémisphère droit : les plus
Absolument, opposai-je au contradictoire importun. Et voilà qui devrait te convaincre, triste sire.
Engagement
Un seul mot : chaton-trop-mignon. OK j’ai triché, mais l’argument n’en reste pas moins valide.
L’engagement est immédiat dès l’onboarding, et le taux de rebond quasi nul. Des millions d'années d'évolution s'en sont assuré, les bébés, et a fortiori ceux des chats, sont conçus pour un effet wow et une séduction maximum.
Une tête plus grosse que le corps, des grands yeux, de toutes petites pattes maladroites, un duvet tout doux et un ventre tout potelé et tout rose… Appel à tous les utilisateurs. Engagement immédiat.
“C’est pas exclusif aux chats”.
Soit, c'est aussi valable pour les chiens. Et je ne parle même pas des pandas roux. Et alors ? C’est un crime, d’appliquer les bonnes pratiques ?
Feedback
Et puisqu’on en est aux bonnes pratiques, en voici une autre qui prend tout son sens chez ces boules de poils : le ressenti, animal en main est au top. Le ronronnement, notamment, est une masterclass, alliant vibration et son de basse tout doux. Un feedback multisensoriel, satisfaisant, apaisant. Il paraît même que c’est bon pour la santé. Même la manette Dualsense de la Playstation 5 peux aller se rhabiller, à côté de ça.
Gamification
C’est pas compliqué, donnez n’importe quoi à un chat, ça se transforme en jeu. Un vieil élastique à cheveux, une capsule, une ficelle, et hop, le greffier fait des bonds improbables, se casse la courge, repart… Un carton ou un sac en papier et l’animal se range façon Marie Kondo, enclenchant votre circuit de la récompense autant que vous le sien. Et on en redemande.
C’est pas pour rien qu’il y a autant de vidéos de matous sur le web. C’est aussi addictif que le café du matin. Et en plus, ça encourage le recyclage. C’est pas bio, ça ?
Hémisphère gauche : les moins.
OK, hémisphère droit de bon aloi, je te concède ça. Mais j’en ai autant à ton service. Et peut-être même un poil plus. Un poil. Tu l’as ?
Les “Miaule to action”
Commençons par un problème d’UX évident : l’utilisation excessive de l’audio. Alors, les designers ont peut-être voulu rajouter de la juiciness, mais là ça leur a clairement échappé. Les retours sonores comme les ronrons, d’accord, c’est agréable, mais les Miaule to action, là, les demandes incessantes qu’on pige une fois sur quatre, quand ca vire pas à l’alerte sonore intempestive en pleine nuit, qui a pondu ça ? Et pas de section paramètres ou de potard sonore pour les désactiver. Là franchement, c’est de l’amateurisme.
Le non-respect de la vie privée
Tiens d’ailleurs, puisqu’on parle d’intempestif, je me demande si le chat est réellement compatible avec le RGPD. Pas de paramètres de vie privée, pas de droit à la déconnexion, ne serait-ce que pour une pause toilettes, pas de bandeau d’acceptation des cookies, pas de demande d’autorisation pour te bombarder de notifications ou pour l’accès à ton tiroir à chaussettes… Ça tombe sous la juridiction de la CNIL, non ?
Les parcours utilisateurs
Et puis les parcours utilisateurs sont contre-intuitifs, voire confus. Faites entrer le chat qui miaule derrière la fenêtre, il miaulera pour ressortir moins de 10 secondes plus tard. On parlait plus tôt de gamification. Donnez donc à votre chat le jouet high-tech et farci de cataire que vous venez, naïf que vous êtes, d’acheter à un prix faramineux, et cette sale bête préfèrera jouer avec le blister. Pareil pour les jolies cabanes en pilou-pilou qu’on aimerait bien avoir à taille humaine : il lui préfèrera le carton vide de la pizza d’hier soir qui traine encore négligemment près du frigo. Ouiii, “le recyclage, yadi yada”… C’est frustrant. C’est tout. Je sais pas qui a pondu les user stories qui ont conduit à ces parcours utilisateurs, mais c’est zéro.
Les frais cachés
Le dark pattern ultime, le piège fatal. Votre chat, tout mignon, tout beau, il va vous coûter une blinde ! L’abonnement croquettes, ça, on est plus ou moins au courant avant, en général. Mais que vous l’assumiez quand vous lui faites les fameux cadeaux (toujours inutiles), ou que vous vous en rendiez compte au moment de payer la douloureuse chez le vétérinaire pour une énième suture de l’épaule post-bagarre avec les autres bestioles du quartier, votre portefeuille va inexorablement tirer la langue au delà de ce que vous aviez anticipé.
Et il n’y a aucun disclaimer, aucune checkbox d’acceptation des CGV, aucune mention légale clairement affichée.
Allô la CNIL ?
Allô…
Bip bip bip, bip bip bip
Mnem, quoi, qui m’appelle ? AAAAAAH NON ! J’ai divagué (vagué) et je me suis rendormi comme un âne ! Et le matou qui pionce toujours. Pas une moustache qui bouge quand je le choppe pour libérer mes guiboles et que je le pose plus ou moins délicatement sur le fauteuil d’à côté. Il continue paisiblement son roupillon.
C’est bien fichu quand même, un chat.
“Vraiment ?”…
Ah non, ça va pas recommencer, là, j’ai du boulot moi !